Il ne faut pas tuer les riches, il faut tuer la pauvreté ! (Ljubomir Jakic).
Il faut juste tuer Jean d'Ormesson, qui a déclaré :
Je méprise les privilèges mais je ne déteste pas nécessairement ce que je méprise.
 

 

La jouissance est obligatoire.
Or ça jouit là où il y a privilège.
Donc vive les privilèges !

 


Le privilège (1) est un avantage dont on ne peut pas se refuser la jouissance. C'est le pouvoir de ne pas avoir honte de la visibilité de sa jouissance exclusive. La honte et la culpabilité du privilégié sont déplacées, un masque, une fausse pudeur : jouissez de vos privilèges et donnez envie de faire de même ! (2) La haine du non-privilégié est pur ressentiment, détestation de soi et masochisme : privilégiez-vous tout ce qui bouge et arrêtez de loucher sur la jouissance de l’autre ! Bref, vouloir la fin des privilèges, c'est scier la branche sur laquelle on rêve d'être assis. Ou jeter le bébé qu'on désire être avec l'eau du bain.

 

Le pire, bien sûr, est la création de privilèges pour une classe donnée d’individus («Privilèges exclusifs, svp !»), dont offre une pitoyable illustration récente le trop fameux statut spécial pour les artistes (en Belgique) ou les intermittents (en France), lesquels, ne leur en déplaise, ne sont pas les seuls, tant s’en faut, à avoir des revenus imprévisibles et irréguliers et à devoir souvent travailler sans garantie d’un revenu à la clé. Leur privilège ne sera pas légitime avant d’être généralisé à tous ceux qui connaissent la même situation. Inconcevable ? Pas du tout. L’Histoire a parfois pris le bon tournant, celui du nivèlement anoblissant par le haut («Privilèges pour tous !»), sur le modèle de l’universalisation de la guillotine décrétée lors de la Révolution française. Trop souvent, il est vrai, malheureusement, c’est le nivèlement démocratisant par le bas («Abolition des privilèges !») qui a prévalu, sur le modèle en Europe de la traduction de la Bible à partir de la fin du XIVe siècle en langues vernaculaires, au lieu de l’enseignement du latin à tout le monde(3)... ou le nivèlement ravalant par le milieu («Privilèges pour quelques-uns !»), sur le modèle de l'alignement du statut des employé et des ouvriers, et réciproquement, en Belgique.

 

A bas les abolitionnistes ! Ceux qui ont contesté à certains (au lieu de généraliser à tous) le droit d’être aristocrate, d’avoir des esclaves, de porter une arme, etc... et ceux qui luttent pour que demain plus aucune âme ne soit délivrée du purgatoire le samedi suivant son décès, aucune profession ne puisse exiger comme les agriculteurs et les banquiers aujourd'hui des soutiens de l'Union européenne dès que la faillite les guète, plus personne ne soit parachuté "ADMIN" d'un site web et donc ne puisse en assure la gestion, etc.

 

Bravo les universalistes ! Ceux qui ont généralisé à tous (et non limiter à certains) le droit de voter, de se marier, d’accéder à des soins, etc... et ceux qui luttent pour que demain tout le monde ait une place de parking « corps diplomatique », appartienne à une « minorité »(4), ait accès à la procédure de "règlement collectif de dettes" quand bien même celles-ci sont de nature pénale, etc.

 

A celui qui dit « Les vrais privilèges sont mérités », on répond : « Le mérite est une idéologie admissible uniquement si elle fait l’unanimité. » (5)
A celle qui dit « Les privilèges sont contrebalancés, et donc justifiés, par des devoirs », on répond : « C’est très vilain de mentir. »
A ceux qui disent « Les privilèges tombent du ciel », on répond : « Redescendez sur terre. »
           

Toutes des putes, sauf ma mère ? Non, toutes des putes, même ma mère ! Le peuple juif n’est pas élu ? Non, tous les peuples sont élus ! Mona Lisa n’appartient à personne ? Non, elle appartient à tout le monde ! Jésus est un mortel comme un autre ? Non, tout le monde est le « Fils de Dieu » ! On ne prête plus aux riches ? Non, on prête aux pauvres aussi ! Fin de l’immunité pour les diplomates et les parlementaires ? Non, immunité pour tous ! Abolition des facilités pour les communes de la périphérie bruxelloise ? Non, facilités pour toutes les communes ! Dissolution du Bureau « Privilèges » de l'Union européenne ? Non, un Bureau « Privilèges » dans chaque administration ! Suppression de la visite médicale gratuite pour les policiers ?(6) Non, visite médicale gratuite universelle ! L'Etat doit suppléer le trust pharmaceutique dès que l'exigence de rentabilité d'un traitement n'est pas satisfaite s'agissant d'une maladie trop rare ? Non, toutes les maladies sont orphelines ! Le masculin ne l’emporte plus sur le féminin en français ? Non, le masculin l’emporte sur le féminin et réciproquement ! Le secteur de l'Horeca ne doit plus être le seul où faire du noir est un droit acquis de fait ? Non, faire du noir doit être possible dans tous les secteurs ! Les militaires n'ont plus droit à des transports publics gratuits ? Non, transports publics gratuits pour tous ! Les juges, professeurs d’université, ambassadeurs, militaires hauts gradés et autres docteurs en médicine doivent perdre leur titre dès qu’ils  n’exercent plus ? Non, tout le monde emporte le titre de sa fonction jusque dans sa tombe ou son urne ! Il faut raboter le salaire des hommes jusqu’à atteindre celui des femmes ? Non, alignons le salaire des femmes sur celui des hommes ! Il faut déclasser les premières classes dans les trains ? Non, première classe dans toutes les voitures ! Les fonctionnaires sont des employés comme les autres ? Non, plus personne n’est licenciable !

 

Se réjouir du privilège de l’autre ou le jalouser, c’est la même et la plus banale ânerie politique.
Se réjouir d’être seul à jouir d’un privilège signifie indexer son bonheur sur le malheur des autres, et c'est la plus dévastatrice frustration politique qui soit.

 

Le ressort intime du privilège est le spectaculaire.
« Privilèges pour tous ! » = SPECTACLE TOTAL ! = « Tout le monde sur scène ! » =
« Chacun est exceptionnel ! »

 

La phrase
« Elles sont plus belles les unes que les autres ! »
prouve que crier « Privilèges pour tous ! »
revient moins à aplatir les hiérarchies qu’à les télescoper.

 

L’exclusivité du privilège tient au fait qu’il ne se partage pas.
Mais il se dispense à tout-va sans léser personne.

 

La jouissance occasionnée par le privilège procède d’une délectable illusion d’optique :
la sensation, toute relative, est vécue absolument.

 

S’il procède d’un biologisme aussi primitif et scabreux que risible,
le caractère héréditaire parfois reconnu à certains privilèges
prouve une chose (l’exclusivité est relative)
et son corollaire (l’absoluité n’est pas exclusive).

 

L'arbitraire du privilège est sa marque distinctive.
S'il est déterminé sociologiquement, il se réduit à un simple avantage, toujours contestable, lui.


« Privilèges pour tous ! » est le chaos garanti.
Le chaos n’est pas le prix de l’égalité, mais son insigne.

 

Et l'on n'a pas assez dit
la souffrance de ceux d'en haut
contraints de condescendre à atterrir.


(1)
Précisons que ne constitue pas un privilège le fait :
-) d’avoir accès à un service particulier pour lequel on a payé
-) de ne pas payer d’impôt quand on est pauvre
-) d’avoir droit à des places de parking spéciales si on est handicapé
-) de naître avec un QI de 250, un cœur d’Eddy Merckx et/ou un génie picassoïque
-) de remporter une compétition basée sur quelque forme de mérite communément admise


(2)
Un privilège triste n'est pas un privilège :
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et un privilège très triste est un pouvoir figé en un droit acquis.


(3)
Dernier exemple en date :
w
et voici la pétition attenante


(4)
Cfr Gilles Deleuze : « La minorité c’est tout le monde, la majorité c’est personne. »


(5)
Le privilège est d’autant plus jouissif qu’il est immérité. Cfr Marcel Mariën : « Il n’y a aucun mérite à être quoi que ce soit. »


(6) :
w

 



 

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