PROLOGUES

         Derrière ce mot d’ordre improbable et provocateur - qui met la tête de l’histoire à l’envers pour mieux comprendre où elle met les pieds - se cache bien sûr la volonté de pointer, d’un doigt amusé, abasourdi ou tremblant, la lente déliquescence de la Belgique et du Congo (toutes proportions gardées) et l’inextricable complexité de l’histoire encore largement taboue de la relation entre les deux pays. Et n’est-il pas amusant de constater que la décolonisation et l’intensification de la tension communautaire en Belgique sont plus ou moins contemporaines ?

         Loin de toute forme de nostalgie unioniste ou pseudo-post-coloniale, il s’agit donc une nouvelle fois de descendre dans la rue en s’amusant sans oublier de réfléchir à l’absence troublante de réponse à laquelle renvoient toujours les vraies questions…

Laurent d'Ursel

Il est évident qu’entre le Congo et la Belgique, il existe une longue histoire « à suivre ». Et comme toutes ces histoires à succès, le décor une fois planté, il a fallu un casting d’enfer puis, un début, des péripéties, des rebondissements nombreux avec son cortège d’émotions, de volte-face, de trahisons, de meurtres aussi. L’amour ? Inclus, bien évidement, saupoudré à gauche et à droite pour attendrir les plus sentimentaux. Entre le Congo et la Belgique, au début, il y eut un attachement brutal suivi d’un détachement traumatique. L’histoire aurait pu se terminer là, mais dans le subconscient des protagonistes, la saga avait fait son œuvre et allait les marquer durablement.

Tout naturellement, certains ont voulu toucher la réalité de ce qu’il en était de la Belgique après bientôt cinquante ans de séparation d’avec la mère nourricière. Comment s’en tirait-elle ? Etait-elle plus heureuse ? Le Congo, quant à lui, venait de connaître une nouvelle jeunesse avec des élections s’étant déroulées dans la douleur, certes, mais avec le succès que l’on sait malgré le scepticisme ambiant. Le regard des membres du Collectif s’est tourné vers l’Afrique équatoriale. Des souvenirs ont resurgi, une certaine nostalgie, niée depuis si longtemps, a commencé à s’affirmer et une certitude a vu le jour. Jamais ces deux pays n’auraient dû se quitter comme ils l’ont fait. Toutes ces années passées à remuer des griefs, à ruminer des regrets et des remords. Quelle en fut la réelle utilité ?

Des rêveurs et des insensés se sont alors mobilisés et ont tiré la conclusion que cette morosité qui sourd de partout dans le pays, due aux fermetures d’entreprises, aux compromissions de la classe politique, au séparatisme latent, que cette déliquescence, pour une large part, était le fait de la séparation d’avec le Congo, qui nous avait allaités, jadis, pendant longtemps. Une vie loin de la mère nourricière ne pouvait se vivre dans la plénitude. Des femmes et des hommes ont alors eu un sursaut et ont pensé au projet fou d’un rattachement avec le Congo.

Au temps de l’attachement, la Belgique était radieuse. Elle était prospère. Les Flamands et les Wallons étaient encore Belges en ce temps-là. La fratrie se serait-elle disloquée à cause justement de l’absence de la mère ? En tout cas, la chose constitue un des nombreux traumatismes subis, à cause de ce détachement accompli de façon si imparfaite.

C’est vrai que certains trouveront la démarche suspecte, voire intéressée. Il n’en est pourtant rien. Il s’agit tout simplement de l’enfant prodigue qui se souvient, après presque cinquante ans, de la chaleur du foyer abandonné. Il s’agit du rejeton qui comprend qu’il est encore temps de rattraper le temps perdu. En venir enfin à toutes ces choses que l’on n’aurait pu se dire et qu’on ne s’est jamais dites. A tous ces instants volés qui peuvent encore être vécus si chacun y met du sien.  Avec plus de dialogue, de compréhension mutuelle, une bonne dose de pardon, un rattachement est certainement  possible. A travers la recherche de nos points communs, des richesses que constituent nos différences, le Collectif aspire à ce que les choses se passent un peu mieux qu’auparavant. Pour ce faire, une marche de revendication et des évènements sont organisés. Devant la face du monde, le Collectif « Pour le rattachement de la Belgique au Congo » exige auprès de qui voudra, un rattachement, pur et simple. Ni plus, ni moins. Une sorte de retour au bercail en somme.

In Koli Jean Bofane

         Le Congo a une responsabilité historique envers la Belgique : l’ayant nourrie et élevée pendant plus d’un demi-siècle, de 1908 à 1960, il est la mère nourricière de son enfant du Nord. Le fait que, inversement aux usages les plus courants, l’enfant adoptât sa mère, et non l’inverse, ne saurait en aucun cas diminuer la force du lien filial, au contraire.


Des rapports d’affection indéfectibles, puisque filiaux, lient à jamais le Congo à la Belgique. 47 années plus tard, il n’est plus tant de nourrir les ressentiments du fils pour sa mère (fût-elle adoptive) qui, après avoir entretenu si longtemps un rapport de forte dépendance, après l’avoir materné si longtemps, l’abandonna. Une mère aime toujours ses fils, et réciproquement, bien après que le petit ait quitté le giron.
A-t-on jamais vu fils culpabiliser d’avoir sucé sa maman ? Et mère reprocher sa succion à l’enfant ?

La Belgique a été fille indigne parfois. Le maternalisme étant vécu comme aliénant, forcément infantilisant, et comme une castration (inutile de relire Freud à ce propos), il fallait bien tuer la mère. Mais il est temps de tourner la page sans la déchirer, de proclamer sans détour l’amour et la reconnaissance du fils pour le sein nourricier et que soit à nouveau réunie la famille.
On voit de suite que la langue maternelle du Belge est bien le Lingala.
Par un subtil jeu de transfert, le fils prétendit paternaliser sa mère. Cela s’est vu souvent.
Par ailleurs, les temps sont révolus ou les fils entretenaient leurs parents vieillissants. Cette fonction est désormais prise en charge par les systèmes sophistiqués de pension et de retraite ainsi que par tout un système complexe d’assurances « groupe » ou « vie », financés in fine par les enfants qui travaillent, comme on le sait. Peu importe, en l’occurrence, que la mère n’ait pas su tirer parti des années glorieuses et s’en trouve désargentée. Désormais, si les conditions d’autonomie et de subsistance ne sont pas remplies, les enfants devenus adultes continuent de dépendre matériellement, si pas affectivement, de leurs chers vieux parents. Force est de constater que la Belgique n’a jamais pu les remplir. Désemparée, et sans attendre l’âge adulte (1960), elle s’est tournée vers d’autres parents pauvres (le plan Marshall américain ou l’Union européenne). Le Congo a une part de responsabilité, partielle mais incontestable, dans cet échec. Il doit aujourd’hui l’assumer. La Belgique, pour sa part, ne pourra pas grandir sans reconnaître la force de ce lien et pardonner les faiblesses et manquements passés de sa mère.

         … et par une ironie dont seule l'Histoire a le secret, les nouvelles mères adoptives de la Belgique (Usa et UE) sont les nouveaux enfants putatifs du Congo...

Xavier Löwenthal

         La congonisation est en marche ! Elle fut ans doute, dès la colonisation, comme une larve qui lentement a grandi dans son grand contraire. Un point blanc dans le yin du Yang du Congo, du Yango. La griffure blanche dans la page noire de notre histoire. Le rattachement en est la première mise à jour, mise sous un autre jour sans joug. Elle a commencé sa dissémination, à propager l’énergie contenue dès l’origine dans son grand Autre: la Colonisation. Retour du même et de l’autre ? Pas tout à fait. Dans les interstices de l’historicité se déployant entre les boucles du temps, les hommes se sont levés pour faire le bond. Le Sprung (“saut”) qui nous projette d’un coup dans notre altérité en voie de développement.

Serge Goldwicht

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